MIDAS
Tu es loin. Si loin de connaitre le bonheur. Mais tu n’es pas à plaindre non plus. Pas plus qu’un autre. Pas moins qu’un autre. Tu te situes dans la normale contextuelle de cette vie. Mais tu as tes chaines comme l’autre porte les siennes.
Tu as vécu une histoire unique. Une histoire qui t’es propre et que plus tard on identifiera facilement « Tu te souviens de la tragédie de Midas ? ▬ Oui, l’homme aux doigts d’or et au regard triste. »
L’argent ne fait pas le bonheur. Tu rirais presque de cette citation, soupçonnant une dose de sarcasme et de provocation à peine dissimulées dessous.
Oui, l’histoire a laissé ses traces, imprégnant tes mains d’une substance que tu regrettes aujourd’hui.
La solitude t’est si douce. Comme une amie fidèle à laquelle tu peux t’abandonner.
Chaque soir ;
Chaque matin ;
Chaque instant précis de ta si misérable vie.
Le silence t’es bénéfique car la foule te fatigue.
Mais, ton amie est traitre. Et tu le sais. Se barricader derrière un mur isoloir ne t’aidera pas. Au contraire, il t’enfoncera. Coupé de tout ; coupé de tous, avec pour seul sensation la tristesse et l’apathie journalière d’un vieillard attendant Dame Faucheuse dans son lit de mort.
Alors tu te forces.
Chaque matin ; tu te lèves, un programme en tête. Parcourir les rues. Rencontrer. Converser. Echanger. Donner. Sourire.
Retrouver des sensations autres que celle qui te poursuit quotidiennement.
Chaque soir, tu te balades, fêtardes tant que faire se peut. Repousser les limites de l’angoisse, de la peur, de la tristesse pour vivre l’instant présent. Oublier le malheur.
Tu es comme ça Midas. Battant.
Mais tu te rabaisses, sans arrêt. Maudissant ta vie. Maudissant ton handicap.
Mais tu te bats. Refusant la fatalité. Acceptant la fatalité les jours les plus fébriles. Car tu es humain. Doté de forces et de faiblesses. Tu n’es pas infaillible mais tu n’es pas à la lisière crue du désespoir, quoi que tu en penses.
Tu donnes sans compter ; l’argent n’étant pas un problème pour toi.
Et tu penses, sincèrement, qu’offrir ce bonheur monétaire contribuera à réparer tes fautes. Effaçant chaque péché à chaque acte de civisme.
Tu détestes ressentir la convoitise, la jalousie. Un pêché que tu tentes de réparer. Observer les gens saisir, sentir, toucher avec leur mains objets et épiderme alors que toi, tu en es incapable. Ça t’attriste et t’énerve. Et tu regrettes les fois où tu t’es emporté. Les fois où, à bout, tu parcourais les rues ou les couloirs de ta maison, touchant du bout des doigts objets et sculptures pour les transformer en or. Un écartement de ta conduite dont tu as honte. Mais, Midas, tu es humain. Craqué, pleuré, s’effondré, c’est normal.
Tu es si calme d’ordinaire. Tu n’as rien d’un voleur, d’un criminel. Et tes passes temps sont le reflet de ta personnalité. Qui d’autre que toi peut rester des heures durant assis à regarder des fleurs ? A admirer leur couleur ? A refuser de les toucher pour préserver leur vie éphémère ? Qui d’autre que toi tend la main aux plus démunis ? Qui ose distribuer de l’or comme un étudiant paumé distribue des tracts dans la rue ? Qui d’autre souffre en silence de ne pas connaitre le contact réconfortant de sa paume contre l’épiderme de l’Autre ? Tout ça pour le protéger ? Tu regrettes même de ne pouvoir cuisiner. De ne pouvoir offrir tes mets aux autres. Tu regrettes même de ne pas pouvoir toucher les pages fébriles d’un livre.
Tu es méticuleux Midas. Protecteur aussi. Mais tu t’enclaves et t’infliges doutes et douleurs dont tu pourrais pourtant alléger ta conscience. Il te faut juste arrêter. Arrêter de te dénigrer. Et apprendre à croire. A croire en toi, Midas. Car tu le mérite.
Sincèrement.