Les journées se ressemblaient toutes, chaque fois les mêmes têtes, chaque fois les mêmes discours, les même gémissements et les larmes qui les accompagnaient. Déplorables, toutes ces âmes en peine, à la recherche d'une lumière qu'ils pensaient que tu leur apportais un peu plus à chaque séance. C'était drôle, à force d'être désespérés, ils s'étaient tournés vers quelqu'un de moins abstrait que Dieu pouvait l'être. L'idée restait la même, pourtant. A leurs yeux, tu étais celui qui devait leur apporter la délivrance.
La délivrance, tu la leur donnais sous forme de prescriptions et tu leur disais qu'ils étaient malades, tu leur donnais un nom au hasard et ils avalaient tes paroles comme si tu étais le messie. Ce que tu aimais ton métier.
Au final, tu disais toujours à peu près la même chose, parce que tous les êtres souffraient des mêmes maux ; la dévalorisation, la culpabilité, la peur - une grande dépression collective qu'on avait appelé la vie. Sauf qu'aujourd'hui, le discours allait être différent, parce qu'aujourd'hui, le visage était différent. Aujourd'hui, c'était Icare. Icare, elle souffrait de la vie comme tout le monde, elle était devenue folle comme tout le monde et elle avait les pensées à l'envers comme tout le monde. Mais Icare elle était spéciale pour toi, et c'était quelque chose que tout le monde n'avait pas. Tu n'aurais pas pu poser de mots dessus ; elle s'associait aux souvenirs et à la tendresse, à la force appliquée à ses reins et la chaleur de son souffle, Icare elle s'associait à une vie déchirée que tu refusais de réparer - parce que si elle allait mieux, tu allais un peu plus mal, et quand elle allait mal, tu te sentais mieux.
Tu ouvres la porte. Et tu n'arrives pas à décider si sa remarque te fait rire ou souffler. Alors tu restes muet un instant et tu lui souris, le regard glissant le long de sa fine silhouette. Et ses yeux. Tu fais un pas en arrière et la laisses entrer.
── Et toi de plus en plus rapide. Il adresse un coup d’œil à l'horloge accrochée au mur.
Tu peux prendre rendez-vous plus tôt si je te manque tellement, tu sais.Tu fermes la porte derrière vous et tu la laisses avancer jusqu'au salon - c'est qu'elle n'avait plus besoin que tu la guide, de toutes façons. Tu t'installes dans le fauteuil en face de celui dans lequel elle s'affale. Tu ne prends pas de carnet, ton téléphone reste sur le bureau derrière et tu la fixes. Elle est une de ces rares personnes que tu écoutes jusqu'au bout, qui capte ton attention avec des faits futiles - sans importance, aucune. Une de ces rares personnes avec qui tu ne hoches pas la tête pour te donner un air attentif, parce qu'elle n'a pas besoin de ça.
── Comment vas-tu ? et ce paquet de choses à raconter ?Stable, et son regard qui voyage de ses yeux à ses mains, ses doigts fébriles et puis de ses lèvres à ses jambes frêles. Et un vague sourire au bout de tes lèvres, tu te demandes si elle prend ses médicaments, mais la question attendra, tu attends.